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PSYCHOSTEO TEST : QUEL GENRE D’AVENTURIER DU CORPS ETES VOUS ?

Conférence

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22/06/2021

Aventure vient du latin « adventura », signifiant « ce qui doit arriver ». Comment envisager l’aventure du corps, si familier mais si énigmatique à la fois, ce corps que l’on cherche à rencontrer dans notre quotidien clinique, et qui vient de lui même à nous parfois de façon surprenante. Quel aventurier sommes-nous au commande de cette caravelle ? Je vous propose d’observer ici, par une fort brève histoire de la philosophie, quelques profils de navigateurs.

 

Dans l’étude de tout objet ou presque, les penseurs ont eu coutume d’opposer deux camps, les rationalistes et les empiristes.

 

Les rationalistes sont ceux pour qui toute connaissance certaine vient de la raison. La réalité pour le rationnel est donc une affaire de logique, d’explications, de relations de causes à effet et surtout de certitudes. Son souci est d’établir une vérité idéalement unique, un fait certain non réfutable sur lequel il pourra prendre appui pour établir une action en toute maitrise et en toute sécurité. Le rationnel a donc une forte affinité pour les mathématiques entre autre, science de l’exactitude par excellence. Elle permet en effet d’obtenir des traductions chiffrées du réel, des équations utilisables et transmissibles, propices à la déduction et à l’anticipation. Le rationnel sais, s’il part à la découverte d’une contrée inconnue, il étudiera en amont ce qui a fait preuve de vérité, les cartes IGN, l’étude des faunes et flores locales, les cours d’eau, les statistiques de sinistralités… Que cherche t’il ? A ne pas se tromper, à arriver à bon port, à traverser l’espace d’un point A à un point B sans encombres, à maitriser son environnement. Transposé à la question du corps, on pourrait traduire la posture du rationnel ainsi : j’aborde le corps par mes savoirs, par ce qui a été vérifié, validé par la logique, le raisonnement. Je regarde la carte et je m’assure de la cohérence entre ce savoir et ce que le corps me donne à percevoir, ce qui me permet par déduction d’anticiper ce qu’il va advenir. 

 

L’empiriste est tout à l’inverse. Pour lui rien ne sert de « savoir », il faut expérimenter. Toute acquisition de connaissance en passe par là. L’empiriste se « jette à l’eau », il construit connaissances et croyances à partir de l’expérience sensible, du vécu. Le raisonnement est donc non plus déductif mais inductif : les lois générales sont retenues à posteriori des observations, le mouvement de l’esprit se fait du concret vers l’abstrait. L’empiriste part donc à l’aventure avec peu de chose dans son sac ; la carte, il la tracera au fur et à mesure. Il part avec un minimum de conditionnement préalable, cherchant à se laisser saisir par la réalité de l’instant, et selon ce qu’il advient, il en tirera des conclusions. L’empiriste semble sans filet, ce qui ne l’empêche pas d’être prudent, d’avancer pas à pas. Son souhait, c’est d’être au plus près d’un réel tangible et actualisé, la vérité du moment, de l’ici et maintenant. Ce mode de rapport au monde lui semble le plus juste parce qu’il n’est pas dogmatique, l’universalité des lois n’est pas un préalable. A noté que ce courant est né dans l’Antiquité, en opposition à la médecine des « dogmatiques » qui revendiquait l’idée de pouvoir déterminer strictement les causes des maladies en dehors de la considération de la personne malade.  

 

Evidemment, les extrêmes n’ont pas d’existence propre. Les partisans de l’expérience et de la raison se rencontrent, la raison ne pouvant s’enraciner hors d’un vécu et l’expérience n’étant jamais pure nouveauté. Mais une polarité dominante préside en général à la posture dans laquelle on aborde les aventures de la vie, et celles du corps notamment. On pourrait ainsi déployer deux autres profils polymorphes : les scientifiques et les pragmatiques. 

 

Le scientifique étudie le corps sous l’oeil du logos, du langage comme instrument de la raison. Que peut-on dire du corps ? Les connaissances scientifiques ont, comme pour le rationalisme, un caractère universel  mais se construisent par une approche mêlant expérimentation et raison . Elle utilise par exemple l’observation, la mise en place d’hypothèses, la validation par l’expérience ou encore la pratique de raisonnements déductifs. La science cherche également à établir une forme de vérité, mais pas une vérité absolue, une vérité partielle, ayant valeur au sein d’un champ disciplinaire. La biologie essaie ainsi d’extraire des vérités générales sur le vivant, la physique sur le cosmos plus largement, l’anthropologie sur l’humain et les groupes humains dans leur aspect physique et culturel, la psychologie sur les phénomènes de l’esprit… Aucune science ne fait le tour absolu d’une question, n’étant qu’un angle d’approche parmi d’autres. Tout bon chercheur le sait, et cela peut être un des rôles de la philosophie que de le rappeler. La science permet simplement d’aborder un objet d’étude par une grille de lecture définie selon les connaissances du moment. En effet le savoir est là relatif, tout progrès scientifique peut faire évoluer voir même réfuter le paradigme admis jusqu’alors, comme on l’a observé par exemple en physique avec l’arrivée des théories quantiques. Une théorie scientifique est donc considérée comme vérité jusqu’à ce qu’on ait prouvé qu’elle soit fausse ! Toute discipline dite scientifique passe par ce prisme, si elle veut être d’une certaine façon standardisée, notamment pour être enseignée ou pour entrer en dialogue avec les autres sciences. Si nous prenons un contre exemple, les médecines relevant d’une révélation à soi ou d’un rituel de passage, tel que le chamanisme ou le reiki, ne peuvent être considérées comme des sciences, bien que la science peut les étudier et en dire quelque chose. L’aventurier scientifique est le plus répandu en ostéopathie, ce qui va de soi puisque la discipline, depuis ses premières heures, se revendique comme étant scientifique, et non relevant d’une magie ou d’un don divin.

 

L’autre courant nuancé est le pragmatisme, doctrine selon laquelle n’est vrai que ce qui fonctionne réellement. Le pragmatique se moque bien de savoir si telle ou telle chose est vraie, son souci est l’efficacité. Cette école de philosophie américaine considère cette posture, ce droit de croire et de relativiser les savoirs, d’utiliser des modélisations erronées (qu’on s’en rende compte ou pas) au profit de l’efficience, comme un mode de connaissance en soi. Dans cette perspective, penser une chose revient à identifier l’ensemble de ses implications pratiques. Les idées, les représentations, ne deviennent alors que de simples, mais nécessaires instruments de pensée. La vérité n’existe pas à priori, elle n’a de valeur en tout cas que par le résultat. De l’expérience. Et l’interprétation que l’on peut en faire n’a qu’un intérêt mineur en regard de l’efficacité. Ainsi l’aventurier pragmatique utilisera les cartes IGN sans plus ou moins d’apriori que le témoignage de la vieille dame qui habite au pied de la montagne, tout comme l’ostéopathe pragmatique utilisera l’anatomie tout autant que les récits cliniques des ostéopathes chevronnés qui sont passés par là avant lui. Si ça marche alors, il valide. La posture du pragmatique pourrait apparaitre de prime abord intéressante sur un plan clinique, du fait de sa finalité. Elle est d’ailleurs historiquement et contextuellement beaucoup plus répandue qu’on ne pourrait le croire au sein de la profession. D’abord parce qu’elle répond au « way of life » des pionniers américains, à l’esprit du libéralisme, et ensuite parce que certaines situations cliniques résistent durement à se laisser enfermer dans un champ disciplinaire défini.

 

De part notre Odyssée, nous sommes contenus dans un hybride métissé. En effet, l’ostéopathie a connu nombre de profils d’aventuriers, de l’Amérique pragmatique, à la France traditionnellement rationaliste, en passant par une Angleterre adepte des modélisations empiriques. Et pour simplifier la chose, nous pourrions rajouter un cinquième profil, non étranger à la culture occidentale européenne, celui de l’artiste. Celui-ci fait délibérément appel aux sens, aux émotions, à l’intuition pour tendre vers une forme de connaissance non médiatisée par la pensée pour accéder aux choses. Ici, pour accéder au corps, il se laisse simplement guider par ce qu’il éprouve comme répondant à la définition de la santé, on pourrait même dire comme résonnant avec elle. Une confiance absolue en somme dans sa subjectivité, comme dans l’idée que de sa rencontre avec celle de l’autre émerge un mouvement interne chez le patient, se dirigeant vers un « état de complet bien être, physique, moral et social »[1]. L’artiste n’est pas sans socle, la technique, l’acquisition de connaissances, les expériences, ont tissé les fils de ce qu’il donne à produire, à co-créer dans le cadre du soin, mais la boussole ne se situe plus là, ce ne sont que des outils qui soutiennent une quête plus profonde. 

 

Alors quel genre d’aventurier êtes vous ? Privilégiez-vous le savoir à l’expérience ou plutôt le concret à l’abstrait ? Etes vous en quête de vérité, d’efficacité, de sécurité, de légitimité, d’harmonie ? Quel est votre outil de navigation préférée pour vous orienter dans les mystères du corps et trouver la santé ? 

 

« Trouver la santé devrait être l’objectif du docteur. N’importe qui peut trouver la maladie »[2] Oui cher oncle Still, mais comment ? 



Nous vous proposons de poursuivre cette réflexion lors de la prochaine conférence qui se déroulera le 12 juin 2021, en cliquant ici !




[1] Définition de la santé par l’OMS, «Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin -22 juillet 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948». Cette définition n'a pas été modifiée depuis 1946.

[2] A. T. Still : Philosophie de l'ostéopathie, p. 51 (édition 2003).




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