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Le corps c’est une aventure !

Conférence

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22/06/2021

Réflexion autour d’une anthropologie ostéopathique


Pour commencer notre périple, je vais vous raconter comment j’en suis arrivée à cette idée saugrenue d’aller voir ailleurs que dans les sciences biologiques, physiques et mathématiques pour appréhender différemment ce corps que le patient place en toute confiance entre nos mains chaque jour. Jusqu’à la fin de mes études, j’avais un profil psychologique plutôt analytique, j’aimais les situations claires, cohérentes, logiques, j’aimais ces dessins anatomiques qui permettaient de connaitre le corps aussi parfaitement qu’une voiture, j’aimais savoir que la physiologie m’amenait à comprendre et à aider les patients à aller mieux en construisant des axes de traitements mécaniques, neurologiques, vasculaires. Jusqu’au jour où … vint une première expérience venant tordre le cou à mes représentations. C’est l’effet « Christophe Colomb ». Je m’explique. Voici la légende qui raconte comment Christophe Colomb a réellement découvert l’Amérique. En se promenant sur la plage, comme il le faisait très régulièrement, il observa un jour un bois qu’il ne su pas reconnaitre. De quelle plante provenait cette branche ? Il n’identifia aucune des espèces qu’il avait pu rencontrer jusqu’alors. Son intuition fut la suivante : cette branche vient de l’eau, de l’autre côté de l’eau, il doit y avoir une terre où pousse des arbres que je ne connais pas. Une terre inconnue. Alors il organisa son voyage, embarqua un équipage, parti en bateau … et alla probablement bien plus loin qu’il n’aurait imaginé. Il aurait pu ne pas voir ce bout de bois, peut-être d’ailleurs était-il passé plusieurs fois devant sans s’en rendre compte. Il aurait pu aussi négliger cette anomalie et passer à côté d’une des plus grandes découvertes de tous les temps. Evidemment c’est une légende ! Mais comme dans toute légende, au-delà du récit, il faut entendre l’enseignement. 

C’est le point de départ que je vous propose dans le voyage que nous allons faire ensemble. Ici on retient cette surprise, cet étonnement face à la rencontre d’une anomalie. L’anomalie, c’est cette chose qu’on ne peut pas nommer. C’est n’est pas tout à fait comme quelque chose d’anormal. L’anormal n’est pas dans la norme. Mais on peut le référer à une norme. C’est juste que nous sommes dans une variation forte. Là c’est différent, c’est une bizarrerie. Et c’est là que nous avons le choix de démarrer le voyage, ou de rester tranquillement dans notre zone de confort, dans le connu, dans le sécuritaire, dans les représentations communément admises. 

Mon « bois exotique » vint d’une collègue ostéopathe que je rencontrais lors d’un stage sportif en 6eme année d’étude. Elle avait une approche qu’on pourrait qualifier de  tissulaire, voir même en apparence superficielle. J’avais appris qu’un corps c’était de la matière, ça se mettait en mouvement par du mouvement, par effet mécanique (poussée, puissance), ou neurologique (réflexe, vitesse), et voilà qu’elle n’allait ni vite, ni de façon appuyée. J’étais très perplexe. Elle me proposa alors de tester le patient avant son travail puis après. Les références de tests étaient sans équivoque. Les segments vertébraux étaient redevenus mobiles, les muscles s’étaient détendus, le patient se sentait bien. Mon système de cohérence était mis à mal, et je fus face à deux choix : interroger cette étrangeté ou considérer qu’elle était magicienne, magnétiseuse, en tout cas pas ostéopathe. Pourtant elle pratiquait bien une médecine manuelle visant à restaurer la mobilité corporelle … J’ai donc pris le bateau. Et je suis allée bien plus loin que je n’imaginais !

Pour cette nouvelle année 2021, je vous propose donc de prendre tricorne, boussole et longue vue, et de vous essayer à nager en eaux troubles. De faire renaitre en vous toutes les questions que vous avez peut-être étouffées quand vous étiez étudiants, ou même plus tard face à vos expériences de cabinet : comment histologiquement peut-on passer aussi vite de dense à souple ? Pourquoi certains thrust passent et pas d’autres alors que mon geste semble équivalent ? Pourquoi obtient-on parfois une liberté de mouvement satisfaisante en fin de séance alors que finalement la douleur ne s’en trouve pas améliorée, à court ou à long terme ? C’est quoi cette perception bizarre qui ne ressemble à rien ? Ça picotte, ça ondule, ce n’est pas anatomique ça … Est-ce une variation de quelque chose de connu ? Ou est-ce une bizarrerie ? On passe souvent devant des bois exotiques, bien plus souvent qu’on imagine. Mais on oublie de s’étonner, on oublie de se laisser surprendre par toute la complexité du corps et du vivant. On le réduit à quelques intrications de vaisseaux sanguins, d’os, de nerfs. Nous sommes pourtant bien plus que cela. 

Je vous propose la petite expérience suivante : celle de prendre le chemin philosophique de l’étonnement. Je vous suggère de choisir un patient, le dernier de la journée peut être pour avoir le temps. Et de l’appréhender comme un paysage parfaitement inconnu. Comme si vous n’aviez jamais fait d’études d’ostéopathie, comme si vous n’aviez jamais appris l’anatomie. Bien sûr c’est impossible de s’émanciper pleinement des représentations que nous avons, mais imaginez que vous revenez de l’étranger, d’un pays éloigné, après quelques semaines, et que vous revenez en France. Qu’est-ce que ce paysage si familier a t’il à révéler comme mystère qui vous a jusqu’alors échappé ?

Savoir s’étonner, c’est le propre de l’homme. Il s’agit ici de susciter à nouveau cet étonnement. Le lecteur, je l’espère, retrouvera sa capacité d’étonnement dans l’étonnement d’autrui. Il s’aura le reconnaître. Il dira « Oui, c’est bien ça. Comment se fait-il que je ne me sois pas encore étonné à ce sujet ?

[..]

Mais l’homme du XXème siècle peut-il encore s’étonner ou même s’émerveiller ? Nous vivons à l’âge de la science. Nous croyons presque tout savoir, ou du moins pouvoir tout savoir. Et pourtant, il y a toujours et il y aura toujours des êtres humains pour s’étonner. L’étonnement est essentiel à la condition d’homme. Il ne suffit pas d’être le contemporain de grands hommes de science pour échapper déjà à l’ignorance. Et parmi les physiciens, mais eux-mêmes, il y en a qui continuent à s’étonner – non les « demis » ou les « quarts » de physiciens, mais les plus grands. Leurs œuvres sont pleines d’un étonnement métaphysique et philosophique, semblable à celui des enfants. […] Il nous faut dépouiller l’arrogance adulte qui considère tout le passé avec condescendance, du haut de la magnificence de la science moderne.

Jeanne Hersch, l’étonnement philosophique, « avertissement », p.7-8 ed. folio Paris, 1993 



Nous aurons l'occasion d'aborder ses notions ensemble durant la conférence du 12 juin 2021, alors n'hésitez pas à vous y inscrire en cliquant sur ce lien !

A vous de jouer ! 



Crédit photo de couverture : Michal Klajban, Driftwood on the beach north of Kaikoura, Canterbury, New Zealand

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